10 - Secondaires ? Mes fesses !

Publié le par Billy Rubin

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Secondaires ? Mes fesses !

 Je cause de tout, j’essaie de m’approprier la connaissance, je veux tout savoir sur la maladie, je veux regarder mon virus en face et lui cracher dans la gueule ! Je veux… je veux tout ! J’en veux encore !

Deux mois d’interféron-ribavirine, deux mois d’horreurs indispensables. La ribavirine se présente en gélule, suffit d’avaler en général 5 par jour, 2 le matin, 3 le soir. L’interféron s’injecte en sous-cutané, trois injections par semaine, on nous recommande le lundi, le mercredi et le vendredi pour être peinard le dimanche mais on peut changer les jours. Pour mon premier shoot d’interféron, je suis allé  un lundi au centre médical du coin afin de ne pas faire de connerie. Une infirmière m’a aidé à me piquer moi-même. Le toubib m’avait expliqué le truc mais je n’avais pas l’impression qu’il savait vraiment le faire, il lisait la notice en m’expliquant le fonctionnement et je n’avais rien pigé.
L’infirmière avait déjà eu à le faire à des hépatiques et surtout à des diabétiques, c’est le même principe. Il s’agit d’un stylo, genre stylo-feutre sauf que l’extrémité n’est pas terminée par une pointe mais par un petit joint en caoutchouc à l’intérieur d’un corps en plastique qui fait « pas-de-vis. » On visse sur ce corps un tout petit capuchon en plastique qui contient une aiguille très fine. D’un côté elle traverse le joint de caoutchouc qui ferme le corps transparent contenant le liquide,  de l’autre côté, on dévisse un capuchon et deux centimètres d’aiguille apparaissent. Il suffit de tourner le corps du stylo sur lui-même pour faire avancer la dose à injecter. Un tour = 1,5 millions d’unité d’interféron alpha 2b, on fait deux tours, l’autre extrémité du stylo avance, on peut voir les graduations indiquant la dose et lorsqu’on appuie sur ce piston qui dépasse, on injecte la dose sélectionnée. Une boîte de six injections, soit deux semaines de traitement, contient un stylo, six aiguilles et six compresses alcoolisées en sachets individuels pour désinfecter l’embout à chaque fois.
Tu pinces une grosse quantité de peau avec du lard entre le pouce et l’index et tu piques à 45 degrés, dans le bide, les cuisses etc. ça ne fait pas mal du tout sur le coup, c’est après que ça gratte au point d’injection et ça fait des bleus. L’hépato épatant m’avait dit de le faire le soir, avec mon esprit de contradiction habituel, j’ai fait la première le matin à dix heures. L’infirmière m’a demandé ou j’allais mettre les aiguilles chez moi. Je n’ai pas su répondre alors elle m’a donné un beau container en plastique jaune avec un bouchon rouge, récipient en plastique d’environ deux litres. Elle m’a dit de le ramener lorsqu’il serait plein et surtout de ne jamais jeter une aiguille à la poubelle.
C’est vrai que quand tu vois dans les rues les poubelles renversées, fouillées par les clochards, les gamins qui ramassent n’importe quoi et les éboueurs à la merci d’une aiguille qui traverse un sac, c’est des conseils fort sages. Il ne faut surtout jamais jeter ensemble la seringue et l’aiguille si l’on ne peut pas faire autrement. On met ça dans un bocal qui ferme ou une bouteille en plastique avec un bouchon à vis et on ramène ça dans un hosto, un labo ou la pharmacie. Au pire tu détruis l’aiguille et la seringue et tu la mets dans une canette en métal que tu écrases avant de jeter dans une poubelle.
Je suis rentré chez moi aussitôt pour attendre la « montée » au calme. J’ai utilisé, sans m’en rendre compte, un langage de tox car en fait de montée, c’est une descente aux enfers qui m’attendait. D’abord, j’ai commencé à grelotter, à claquer des dents et à frissonner. Je me suis mis au lit tout habillé en rajoutant des couvertures au fur et à mesure. Comme je n’en ai pas beaucoup, j’ai fini par mettre des fringues en vrac sur le lit, manteaux et vestes. Deux heures après, j’avais trop chaud, de la fièvre et une migraine du tonnerre de dieu. J’étais cassé de toute part, des douleurs dans les membres, dans tout le corps. 
J’étais extrêmement fatigué et ne pouvais pas dormir. Lorsque je m’enfonçais dans un sommeil douteux, il était peuplé de cauchemars. Je ne savais pas si je rêvais ou si je rêvais que je rêvais. J’avais envie de sauter par la fenêtre mais heureusement je n’avais pas la force de me lever.
Le médecin m’avait dit de prendre deux comprimés de paracétamol avant l’injection et que je pouvais en prendre deux fois deux comprimés après  mais pas plus. Six comprimés en 24 heures ne m’ont rien fait ou pas assez. J’ai repris du paracétamol-codéine puis de la lamaline. Les médicaments me collaient un peu plus dans le pâté. J’avais toujours un casque à pointe en plomb, la pointe tournée vers l’intérieur du cerveau. Tous mes membres me semblaient brisés, je sortais du lit à quatre pattes.
  J’aurais voulu avoir une présence auprès de moi, juste pour me rattacher au monde des vivants. N’importe qui, mon père, ma mère, une copine, une amante, un ange, un démon un chat. Rien, que dalle, juste cette grosse salope de souffrance de merde qui prenait possession de mon corps et de mon cerveau. Ma mémé citait la seule phrase de la bible qu’elle connaissait, tirée de l’ecclésiaste je crois : « malheur à l’homme qui est seul ! »  Et elle rajoutait malicieusement : « et c’est pire encore pour la femme ! »
J’ai traîné ainsi de cauchemars en cauchemars jusqu’au mardi midi. Je n’ai rien avalé, tout me dégoûtait. J’avais un goût bizarre dans la bouche, entre le plastic et le métal. Je sentais tout et tout sentait mauvais. Je n’avais envie de rien, je buvais du jus d’orange et quand j’avais trop froid du viandox.  J’ai fais des courses le mardi après midi. Au super marché du coin, j’allais de rayon en rayon. Envie de rien, tout me semblait dégueulasse. Je me suis acheté des fruits secs, du raisin, des dates, des abricots, des amandes, noisettes, pistaches etc. ainsi que des ananas au sirop, du beurre salé, de la confiture et du pain suédois.
Pendant un mois, je me suis nourri de tartines de crackpain suédois au seigle recouvert de beurre et de confiture, de fruits secs, frais et au sirop. Plusieurs fois j’ai essayé de manger de la viande, je n’y arrivais plus. Le poisson passait un peu mieux, le chou cru, les carottes crues et la salade aussi. J’essayais les laitages, ça m’écœurait. Le pain que j’adorais au point de le manger sec me dégoûtait. 
Psychiquement je me sentais bouleversé. Ça a commencé doucement, insidieusement puis au bout de quelques semaines, je me rendais compte que ça n'allait pas du tout. La moindre chose me faisait pleurer, une réflexion, une information à la con, même un vieux dessin animé comme Bambi me faisait sombrer dans les larmes. Je me suis mis à écouter de la musique sans arrêt, à trouver des morceaux qui me convenaient et me faisaient du bien. Deux disques de Portishead et un Massive Attack se sont mis à tourner en boucle sur mon lecteur à trois cd. Puis ça a été Harvest Moon et Sylver and Gold de Neil Young avec le Dylan Unplugged. Il y a fallut que je trie sérieusement mes choix, certains morceaux me provoquant un déluge lacrymal ininterrompu. Je n’avais envie de rien, j’aurais pu croiser Patricia Arquette dans la cuisine, je ne lui aurais même pas proposé un coup à boire. Alors, tu penses le reste…
Comme si ça ne suffisait pas, je me suis mis à avoir ce que je croyais être des aphtes. Le toubib m’a dit que c’était du Lichen Plan. Cette saloperie est une espèce de mycose merdeuse due aux médicaments. J’avais aussi des démangeaisons un peu partout, des apparitions de plaques rouges sur le ventre et les membres. Des crampes nocturnes sont venues aussi me visiter. J’avais mal dans le dos et dans tous les os et les muscles. On me faisait des analyses tous les quinze jours et en un mois et demi, j’ai vu mes plaquettes diminuer et mes leucocytes se faire la valise. Mon taux d’hémoglobine est descendu à la cave et l’hépato qui recevait le double par fax m’a appelé pour diminuer les doses de moitié. J’avais touché le fond, atteint le seuil critique. Leucopénie, thrombopénie, neutropénie, anémie, il a fallu que j’apprenne le sens de mots nouveaux dont je me serais bien passé. Seul avantage avec l’interféron c’est que tu as toujours quelque chose dans le frigo : il faut le conserver au froid.
Un an après avoir commencé à écrire sur mon expérience, j'apporte un bémol à mes réactions d'horreur. Oui, c'est éprouvant, oui ça cogne bien dans les gencives ce traitement mais… Ce n'est pas toujours l'horreur grandiose pour tous, de plus, je n'avais jamais été malade auparavant et il y en a qui sont guéri au bout de six mois. Le jeu en vaut vraiment la chandelle. Aujourd'hui au cours de mon troisième traitement, j'ai l'habitude de ces inconforts et je m'organise en conséquence.

Publié dans hepatite-c

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